Tout acte chirurgical est potentiellement porteur de risques, même pour des process chirurgicaux fréquemment réalisés. La succession de suites opératoires habituellement simples ne doit pas diminuer notre vigilance pour détecter les rares complications présentées par des patients pris en charge. Dans ce retour d'expérience, les multiples signaux d'alerte, constatés a posteriori, auraient dû permettre de détecter cette complication plus tôt et d'éviter des suites génératrices de soins supplémentaires au long cours.
Mme F., 35 ans, présente une insuffisance veineuse des membres inférieurs sur un terrain héréditaire. Après avis spécialisé d’un médecin vasculaire, la patiente est orientée vers un praticien spécialisé en chirurgie des varices. Ce dernier préconise un stripping des 2 membres inférieurs, associé à des phlébectomies à partir de la cartographie des veines "malades" faite par le médecin vasculaire la veille de l’intervention chirurgicale.
Cette stratégie thérapeutique est acceptée par la patiente qui a reçu les informations du chirurgien.
La consultation préanesthésique ne retrouve aucune contre-indication à la réalisation d’une anesthésie générale (AG) ou une anesthésie locorégionale (ALR) médullaire (rachianesthésie), le choix de la patiente se portant vers une AG.
Une ordonnance est remise à Mme F., prescrivant antalgiques et anticoagulants, pour organiser son retour à domicile après la réalisation de l’acte chirurgical.
Le jour J, l’éveinage des 2 membres inférieurs associé à des phlébectomies réalisés sous AG se déroule sans difficulté particulière, et une double contention est mise en place par le chirurgien jusqu’au pli de l’aine. La patiente est ensuite transférée en salle de surveillance post interventionnelle (SSPI). Elle est prise en charge par l’équipe paramédicale de ce secteur.
Mme F. signale assez rapidement des douleurs assez importantes des membres inférieurs, qu’elle côte à 7-8/10. Cet élément est transmis rapidement au médecin anesthésiste qui prescrit une titration de morphine par dose de 2 mg en intraveineuse. 8 mg seront administrés pour soulager la patiente avec une évaluation de la douleur à 2/10. La prise en charge de la douleur semblant satisfaisante, le retour en secteur ambulatoire est validé par le médecin anesthésiste réanimateur (MAR).
La surveillance de la patiente en secteur ambulatoire ne retrouve aucune traçabilité de l’évaluation de la douleur. Mais Mme F. affirme avoir signalé à plusieurs reprises à l’infirmière une douleur constante…
Le MAR ne repassera pas voir Mme F. en secteur ambulatoire – c’est le chirurgien qui viendra valider la sortie de la patiente : elle vérifie l’absence de saignement et signe sa sortie.
Lors de la préparation de la patiente pour sa sortie, elle signale qu’elle a du mal à mobiliser son pied gauche ; l’infirmière lui propose de lui prêter une paire de béquilles qu’elle devra ramener lors de sa consultation postopératoire de contrôle dans une semaine… et surtout, la première contention n’est pas retirée comme le veut la procédure de soins…
Mme F. sort donc de l’hôpital pour un retour à domicile accompagnée de son conjoint.
Lors de l’appel du lendemain, la malade précise qu’elle a passé une nuit très difficile, du fait de douleurs importantes et signale également un engourdissement des membres inférieurs, plus important du côté gauche. L’infirmière au téléphone se veut rassurante, indique que cela va passer avec le temps, mais que si la douleur augmente qu’elle n’hésite pas à venir aux urgences de l’établissement. Aucun signalement n'est fait au chirurgien.
Le lendemain, l’infirmière à domicile passe au 2e jour postopératoire pour enlever la deuxième bande de contention, faire les pansements des différentes incisions et montrer à la patiente comment mettre les bas de contention achetés pour les périodes orthostatiques.
Elle constate alors que la première bande de contention est toujours présente. Elle enlève les 2 bandes de contention, réalise les pansements, demande à la patiente de marcher. Elle constate un steppage du pied gauche. La patiente signale également comme "une perte de sensibilité de la jambe droite".
L’infirmière appelle alors le chirurgien pour lui expliquer la situation : le chirurgien pense immédiatement à une complication neurologique et demande à la patiente de venir le consulter aussitôt que possible.
Mme F. sera reçue par le chirurgien et par un neurologue dès le lendemain : le bilan clinique et paraclinique objectivera :
Les suites montreront une évolution très lentement favorable (plusieurs mois avant la reprise de son travail) après plusieurs semaines en centre de rééducation dans le contexte d’un parcours de soins en ambulatoire.
Cette complication n’a pas engagé le pronostic vital du patient, mais cet événement indésirable est considéré comme Grave (EIG) car une hospitalisation de jour en centre de rééducation a été nécessaire.
Les conséquences :
Les suites de cette complication, après la mise en œuvre des traitements, ont été finalement difficilement favorables.
Les professionnels de santé impactés par cet EIG ressentent un sentiment de culpabilité.
Devant ces éléments et le fort mécontentement de la patiente qui demande des explications sur les raisons d’un défaut de prise en charge allégué, l’établissement de santé décide de réaliser une analyse pour comprendre le mécanisme de cet événement et éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.
Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de cette patiente : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse des informations tracées dans le dossier patient informatisé.
Compression neurologique suite à un bandage trop séré prolongé de manière excessive.
Malgré cet EIG, les conséquences pour la jeune patiente sont médicalement maîtrisées au prix de soins de rééducation sur une période assez longue :
Partant de ce constat, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
Ce partage est effectué avec plusieurs axes d’amélioration possibles :
La communication et la coopération entre professionnels de santé sont les points clés pour optimiser la sécurité d’un parcours de soins.
Dans ce contexte, la discussion a porté sur les situations non attendues dans le process de soins : si le MAR en avait parlé au chirurgien dès la période SSPI, ce dernier aurait pu prendre en compte cette information et rechercher la cause de cette douleur anormalement importante.
De même, l’absence de transmissions entre équipes paramédicales SSPI – secteur ambulatoire n’a pu permettre d’insister sur la nécessité de réaliser une titration morphine en SSPI, points de vigilance à prendre en compte dans la surveillance de la douleur en secteur ambulatoire.
Pour ne rien oublier dans les points de contrôle avant la sortie de la patiente, les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé préconisent l’utilisation d’une check-list.
Dans cette situation, la construction d’une telle aide cognitive adaptée à l’acte chirurgical aurait permis de ne pas omettre l’ablation de la première bande de contention, par définition plus serrée que la première… et ainsi éviter ces complications neurologiques.
La communication entre les différents acteurs de santé doit être optimale pour fiabiliser les prises en charge de malades, quels que soient les vecteurs utilisés.
Chaque fois qu’un événement inattendu est constaté, il convient de partager l’information entre professionnels de santé pour éliminer toutes complications inhérentes à une prise en charge médico-chirurgicale.